Marseille, le port, Notre-Dame-de-la-Garde, 1915-1916
Huile sur toile, signée en bas à gauche.
54.02 x 73.03 cm
Historique :
Acheté par Druet à Marquet le 04 Février 1916
Collection Mlle Marthe Dron
Collection M. Parent
Galerie Druet, Paris, 1925( n°11031)
Collection G. Descours, 1927
Galerie Schmit, Paris, 1967
Vente Cornette de Saint-Cyr, Paris, 17 juin 2021
Expositions :
Exposition Albert Marquet, Galerie Eugène Druet, Paris, 22 novembre - 3 décembre 1920, sous le n°7 portant le titre “Marseille, Notre-Dame-de-la-Garde”.
Buenos Aires, Argentine, Amigos del Arte, 1926
Utställning av modern fransk konst i Ateneum, Ateneum, Helsingfors, Finlande, 6-30 mars 1927, puis Kunstnerforbundet, Oslo, Norvège, avril-mai 1927, sous le n°72.
La Rochelle, 1927
Exposition Marquet, 1875 - 1947, Galerie Schmit, Paris, 17 mai - 17 juin 1967, reproduit au catalogue d'exposition en page 55, au numéro 43.
Attestation d'inclusion au catalogue raisonné digital de l'artiste émise par le Digital Catalogue Raisonné Project sous l'égide du Wildenstein Plattner Institute.
LE FANTÔME DE NOTRE-DAME
De son maître Gustave Moreau, Albert Marquet a retenu, davantage que les leçons académiques, un goût pour l’éclectisme des sources. Il a probablement découvert grâce à lui la force des estampes japonaises, à moins qu’il n’ait été entrainé par ses rapins de camarades à la galerie Bing. Il faut dire que le Paris artistique de sa jeunesse baigne dans le japonisme, qui fascine les peintres notamment par cette science qui loue, dans un geste précis, à la fois le détail et l’économie.
Ainsi que Manguin, Matisse et Camoin, Marquet fréquente l’atelier de Gustave Moreau entre 1895 et la mort du maître en 1898, qui oblige les artistes à se disperser dans d’autres ateliers. Tous les quatre garderont toutefois estime et amitié durables et réciproques. Ils exposeront souvent ensemble, explorant, chacun à leur manière, les ressorts de la modernité picturale.
Le premier séjour de Marquet à Marseille date de l’année 1905. Ayant répondu à l’invitation de Manguin à Saint-Tropez, les délices de la Villa Demière sont abandonnées pour un périple studieux au fil de la côte. Les deux artistes longent la mer et se rendent d’abord à Agay où ils peignent auprès de Louis Valtat et d’Edmond Cross. C’est ensuite qu’ils visitent Marseille.
Pendant la Première Guerre, entre la fin de l’année 1915 et 1918, Marquet reviendra dans la cité phocéenne, louant un atelier sur le quai de Rive-Neuve qui domine le port (l’atelier d’Eugène Montfort au 15, quai de Rive-Neuve). De ce point de vue, il peut s’adonner à l’observation d’une vie grouillante, qui s’organise autour du bassin et du fameux pont à transbordeur qui, de sa stature métallique, rythma la vie du port jusqu’à sa destruction par les allemands pendant la Seconde Guerre. Cependant, la vue que nous présentons est prise du quai opposé, le Quai du port, ouvrant cette trouée sur la colline de Notre-Dame-de-la-Garde. Symbole plus durable de la ville puisque le monument, bien que dégradé, se révélera heureusement à l’épreuve de l’ennemi, la Bonne Mère détache sur le ciel sa silhouette reconnaissable au premier coup d’oeil.
Marquet a pourtant fondu ici dans une tonalité brumeuse ciel et Mère. Tandis que le premier plan se construit tout en contraste, elle apparait diaphane, présence fantomatique. Alors que la guerre, qui devait être de courte durée, s’enlise, comment ne pas y voir un reflet de l’inquiétude des temps que vit l’artiste? Notre-Dame-de-la-Garde en majesté certes, mais voilée sur sa colline, se fondant presque dans les cieux. Les hommes aussi, sur le port, semblent graves, cheminant droit devant dans leurs complets sombres. Voient-ils, le regard fixé sur les pavés du port, un fils, un frère mobilisé au front? Une certaine gravité émane donc de cette oeuvre, mais sans doute extrapolons-nous… ce n’est peut-être que le temps, rarement maussade dans la région, qui aura inspiré à l’artiste cette atmosphère cotonneuse. À rebours des impressionnistes, Marquet ne nuance pas sa vision : au lieu de suggérer une atmosphère par d’habiles superpositions et passages successifs de couleurs, il refuse la nuance. Opère plutôt une synthèse des tons, assortie à celle qu’il applique aux formes. Choisit la couleur dominante perçue et s’y tient dans la restitution. Souligne parfois les formes d’un cerne noir ou bleuté pour les délimiter fermement, contrastant l’ensemble, le rendant plus explicite encore.
Les critiques de l’époque sont un peu désarçonnés, reconnaissent la réussite de l’effet mais doutent du procédé, craignant que l’artiste ait troqué les bonnes manières classiques de l’exécution pour céder à la facilité. Il n’en est rien et ne faut-il pas, les exemples en sont nombreux au XXème siècle, d’abord parfaitement maitriser son sujet pour pouvoir le synthétiser, le schématiser de la sorte? C’est à force d’observation seulement que l’oeil parvient à faire la synthèse qu’il peut communiquer à la main. Sur la toile, l’essence d’un paysage, d’une atmosphère, se dessine avec la douce fermeté de l’estampe japonaise. Matisse ne voyait-il pas en Marquet un Hokusai d’occident? Tels furent son langage et sa signature, ceux d’une modernité perçante, débarrassée des oripeaux du XIXème siècle.